21.02.2021 10:03 – Elodie Müller et Julia Jeanloz
Alors que la loi fribourgeoise sur le financement de la vie politique est entrée en vigueur le 1er janvier 2021 et que les résultats de la consultation du projet de loi valaisanne ad hoc seront dévoilés au printemps, la réticence du Parlement fédéral à légiférer sur le sujet rend perplexe: en matière de transparence, les cantons mènent la danse! Vaud est d’ailleurs le dernier en date à avoir manifesté son intérêt pour la question.
En ce début de mois de février, le Conseil d’État vaudois annonçait le dépôt du projet de révision de la loi sur l’exercice des droits politiques (LEDP) devant le Grand Conseil. Au cœur de celle-ci: la transparence financière de la vie politique. L’occasion d’en saisir la substance et de faire le point sur son actualité fédérale.
«Un contrat de confiance entre les autorités, les institutions et la population»
Parmi les modifications majeures de cette révision, le Conseil d’État vaudois exige que les partis représentés au Grand Conseil, les communes de plus de 10'000 habitants, mais aussi les comités participant aux campagnes électorales ou de votations, publient leurs comptes annuels. Tous ces acteurs, ainsi que les candidats au Conseil des États, au Conseil d’État, au Grand Conseil et aux municipalités des communes de plus de 10'000 habitants, devront ainsi révéler les dons perçus au-delà des seuils de CHF 3'000.- (personne morale) et de CHF 5'000.- (personne physique).
D’après la conseillère d’État Christelle Luisier Brodard (PLR), chargée du Département des Institutions et du Territoire, l’objectif est que ce projet prioritaire du programme de législature 2017-2022 puisse entrer en vigueur le 1er janvier 2022, soit pour les élections cantonales. Elle ajoute: «Sur le principe de transparence, trois éléments sont essentiels: la confiance entre les autorités, les institutions et la population – surtout au vu de la période de crise sanitaire actuelle. D’autre part, l’information de la population : les votes doivent se faire en connaissance de cause. Enfin, la prévention de la corruption.»
Des arguments qui résonnent avec ceux de l’initiative fédérale pour plus de transparence dans le financement de la vie politique, lancée en 2017 et actuellement discutée dans les deux chambres : «C’est un signal important en direction de Berne. Le Canton de Vaud s’ajoute ainsi à la liste des cantons qui exigent davantage de transparence en matière de financement de la vie politique», s’exclame la conseillère nationale Nadine Masshardt (PS/BE), co-présidente du comité pour l’initiative sur la transparence.
Si la modélisation de la révision de la LEDP devrait engendrer de vifs débats, elle a déjà obtenu l’aval de principe du PLR Vaud à travers un communiqué, nous apprend Christelle Luisier Brodard - bien que la direction du parti émette des réserves quant aux seuils prévus.
Cette révision s’ajoute à une longue série d’initiatives ou de lois portées par les cantons. La plupart des cantons romands ont légiféré sur la transparence (Fribourg, Genève, Neuchâtel), au même titre que le Tessin, Schwyz et Schaffouse, bien que les seuils de transparence sur les dons perçus diffèrent d’un canton à l’autre.
Les arguments kafkaïens du Conseil fédéral
Si l’entrée en vigueur progressive de lois cantonales exigeant plus de transparence en politique est une bonne nouvelle, elle rend d’autant plus déconcertant le refus systématique de Berne d’une réglementation sur la transparence du financement des partis et des campagnes électorales. Un refus devenant même incompréhensible lorsque l’on sait que la Suisse est le seul État membre du Conseil de l’Europe à ne pas s’être doté de réglementation en la matière.
L’initiative fédérale sur la transparence, portée par une alliance de gauche et d’organisations de la société civile, a pour ambition de répondre à ces enjeux. Le Conseil fédéral a cependant recommandé de la rejeter, prétextant qu’elle serait incompatible avec les particularités du système politique suisse. Il ajoutait par ailleurs cet argument quelque peu curieux selon lequel il doutait que «les moyens financiers aient une influence prépondérante sur le succès politique.»
Un contre-projet indirect à l’initiative fait actuellement l’objet de délibérations au Conseil des États et au Conseil national, qui débattent du seuil à partir duquel fixer l’obligation de déclarer des donations à des campagnes fédérales. Si l’initiative préconise qu’il soit fixé à CHF 10'000.-, les majorités de droite dans les commissions et les chambres l’ont élevé à CHF 25'000.-, alors que les donations de ce montant sont relativement rares en Suisse.
Par ailleurs, la Commission des institutions politiques (CIP) du Conseil des États avait prévu une clause d’exception, pour les conseillers aux États, à l’obligation de déclarer leurs budgets de campagne, arguant que leur élection relevait d’une affaire cantonale. Début janvier 2021, la CIP du Conseil national amendait cependant le projet pour que les conseillers aux États soient également soumis à des obligations de transparence pour leurs budgets de campagne électorale.
Transparence: encore un long chemin à parcourir
Les arguments du Conseil fédéral ne sont pas faux sur le principe: le fédéralisme et le multi-partisanisme de nos institutions sont effectivement un puissant outil de distillation du pouvoir et diminuent les risques de malversations. Pour autant, il serait illusoire de croire que la Suisse échappe miraculeusement à la corruption par la seule grâce des instruments institutionnels que sont le fédéralisme ou la démocratie directe. En 2009, en plein débats parlementaires pour réglementer les activités d’UBS, la presse suisse révélait que la banque avait promis de verser 150’000 francs au PDC (actuel Le Centre). Ce dernier avait finalement renoncé au don de la banque à la suite du scandale médiatique que ces révélations avaient déclenché.
En 2021, la persistance de l’opacité du financement des partis politiques suisses, des campagnes électorales et des liens d’intérêt des parlementaires fédéraux est difficilement justifiable. Le Conseil national se prononcera prochainement sur le contre-projet à l’initiative sur la transparence, mais s’il est adopté, ce sera probablement vidé de sa substance. La question demeure de savoir pourquoi les parlementaires persistent à refuser de consolider les garde-fous nécessaires à l’exercice d’une pleine démocratie, dans laquelle les citoyens peuvent voter en connaissance de cause des enjeux financiers sous-tendant n’importe quelle décision politique.
Image: Hansueli Krapf, https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:CC-BY-SA-3.0